Jean Rollin, le rêveur égaré

« Que vous détestiez les films de Jean Rollin ou que  vous leur trouviez un charme fou, ce documentaire est là pour vous faire pénétrer dans une oeuvre inclassable et foutraque, menée par un artiste incompris définitivement attachant.  » A voir à lire

 

« Dans ce Jean Rollin, le rêveur égaré, il y a un ludisme, un sentiment laissant croire que tout est possible avec ce cinéma de lutte, qu'il s'agisse de mauvais genre ou d'économie restreinte. » FilmdeCulte

 


Après une belle carrière dans des festivals français et internationaux, ce film fut acheté par le CNC dans le cadre du Fonds Images de Culture. Jean Rollin, le rêveur égaré existe également dans une très belle édition DVD sortie chez Ecstasy of Films.

 

Qui est Jean Rollin ?

Rentrer dans les cases n’a jamais été le fort de cet intellectuel pétri de culture populaire, sa carrière fut presque toujours en dehors de la norme. Adulé à l’étranger, détesté dans son propre pays. Proche de Marguerite Duras et de Brigitte Lahaie. En anarchiste convaincu, l’homme se ficha des conventions, comme des critiques assassines. Qui se souvient de la sortie du Viol du vampire en plein mai 1968 ? Peu de monde et pourtant... Ulcérés par ce film surréaliste, fantasmagorique, fou, travaillant les atmosphères plus que le scénario, des spectateurs jetèrent tout ce qu’ils trouvèrent sur l’écran puis sortirent de la salle afin de « s’expliquer » avec le coupable de cette offense publique. Un critique reconnu écrira même que Jean Rollin « mériterait d’être fessé en place publique » !

 

Pas de demi-mesure chez lui, ses films pouvaient atteindre le sublime grâce à une poésie macabre unique puis tomber dans l’ennui mortel. Pourquoi ? Quand une scène ne l’intéressait pas, Jean Rollin quittait tout simplement le plateau et laissait les rênes du tournage à un assistant.

 

 Rêveur égaré, Jean Rollin mena une carrière hiératique sur plus de 50 ans, alternant le cinéma d’exploitation et le véritable cinéma d’auteur. Revenir sur cette carrière, c’est aussi dresser une histoire parallèle du cinéma français, des années 60 jusqu’au début de l’an 2 000 avec un début de reconnaissance tardive.

 

Aucunement hagiographique, traversé par le rire et les larmes, ce documentaire dresse le portait sincère d’un cinéaste unique.

 

 

 

 

Extrait de l'interview pour FilmdeCulte

FilmDeCulte : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce documentaire sur Jean Rollin ?

 

Damien Dupont: Une rencontre avec Jean. Yvan avait trouvé son numéro de téléphone dans l'annuaire. Suite à une discussion téléphonique, nous sommes passés chez lui pour qu'il réponde à une question qui nous taraudait : "Comment faire des films fantastiques en France ?". Dans son petit appartement parisien, on a rencontré un homme affable très content de nous rencontrer. Bien sûr, il fut incapable de répondre à notre stupide question. En gros, il nous a répondu de réaliser des films sans forcément avoir de budget et de bosser à côté. Par la suite, on a discuté de sa carrière hors norme, de la réception publique et critique de ses films. En sortant de chez lui, Yvan et moi, nous nous sommes regardés et il était évident qu'il fallait réaliser un film sur cet homme unique.

 

 

FdC : Les intervenants insistent beaucoup sur le manque de reconnaissance de la presse dont a souffert l'œuvre de Rollin. Est-ce que la beauté de son cinéma, ça n’est pas précisément d’être tellement hors normes, ovni, avec un cinéma de genre, une économie radicale, un ton unique, qu’il ne peut être mis sur la même échelle que les autres cinéastes ? Comme un cinéma qui, justement et délibérément, n'irait pas chercher de reconnaissance "officielle"?

 

DD: Il est évident que le cinéma de Jean n'est pas mainstream et en aucun cas grand public. La "reconnaissance officielle" ne voulait pas dire grand-chose pour lui, il était vraiment anar dans l'âme. Le grand problème pour Jean était d'être français. Un pays où le cinéma (depuis quelques décennies) est devenu (en dehors de quelques exceptions) très académique, extrêmement balisé. Forcément, quand tu réalises des films à la marge, tu ne peux recevoir que du mépris et une immense condescendance. Heureusement, on sent depuis quelques temps un mouvement de fond vers une nouvelle contre-culture. Car, Jean était, en fait, l'un des derniers représentants de la contre-culture française des années 60 et 70. Dans des pays où cette contre-culture existe encore, Jean avait une reconnaissance : Angleterre, États-Unis, Japon etc.

 

 

 

FdC : Derrière l'histoire du cinéma de Rollin, il y a une histoire du cinéma qui se dessine. Les débuts influencés Nouvelle vague, l'exploitation porno, l'abandon du 35mm. Aviez-vous cela en tête en faisant ce documentaire?

 

DD: Oui, nous en étions pleinement conscients. On voulait absolument croiser l'histoire "officielle" du cinéma français avec l'histoire "officieuse". Le parcours de Jean nous permettait cela et c'était très intéressant d'expliquer pourquoi nombre de cinéastes ont dû faire du porno pour manger par exemple.

 

 

FdC : Ses films ont été redécouverts par un nouveau public ces dernières années grâce notamment au dvd. En était-il conscient ? S’est-il confié sur le sujet ?

 

DD: Oui, il en était pleinement conscient. D'ailleurs, il était toujours très surpris de l'accueil très enthousiaste qu'il pouvait recevoir dans des festivals étrangers, notamment en Amérique du Nord et en Angleterre.

 

 

FdC : Il y a eu un renouveau ces dix dernières années en ce qui concerne le fantastique francophone. Et même s’il y a eu des réussites (je pense à Fabrice du Welz, à Pascal Laugier, entre autres), ces tentatives ont souvent mal été accueillies en France, et beaucoup plus chaleureusement à l’étranger. Est-ce selon vous une situation qu’on peut rapprocher de celle de Rollin ?

 

DD: Forcément, il y a "sentiment d'exotisme" aux États-Unis quand ils voient les œuvres de Jean ou celles suscitées. C'est tellement différent du cinéma fantastique américain. Néanmoins, la situation de Jean Rollin n'est pas la même. Les budgets de ses derniers films ne sont pas comparables à ceux de Martyrs et de Vinyan. Ce n'est pas pour rien que le tournage de La Nuit des horloges a duré 4 ans ! Pascal Laugier a eu des problèmes avec la censure sur son dernier film mais il était sur le plateau de Denisot. Vinyan a fait la couv' de Mad... On ne peut pas dire que La Nuit des horloges ou Le Masque de la Méduse aient eu le même traitement par la presse française et nord-américaine. Jean était vraiment un franc-tireur et un véritable indépendant.

 

 

FdC : Quel est le film qui, à vos yeux, caractérise le mieux le cinéma de Jean Rollin ?

 

DD: Question extrêmement difficile. J'hésite entre Requiem pour un vampire et La Rose de fer... disons que ces deux films sont magnifiquement réalisés et empreints d'un érotisme mortuaire typique de son cinéma. Ce sont de magnifiques rêves où l'on peut se laisser porter et découvrir une œuvre absolument unique.